mercredi, juillet 20, 2005

Conrad FIGHT ! (1)

En lisant Conrad, je me suis senti tout petit, et c'est une chose délicieuse et frustrante à la fois.
Petit face aux éléments déchaînés qui sont le principal personnage de presque toutes ces histoires. Mais aussi, bien sûr, petit face au personnage. Qui a eu une vie aussi remplie ? Qui a vu autant de pays, avion contre vapeur ? Comme si certaines vies se déroulaient sur une sorte de ligne temporelle parallèle, vitesse accrue.


"il éprouva soudain une troublante sensation d'insécurité, la notion bizarre, absurde et instantanée que la maison avait remué légèrement sous ses pieds" (Le retour)
Un monde s'écroule. Le merveilleux n'a plus lieu d'être. Le surnaturel n'est plus. Les bateaux ne hantent plus seuls les mers désolées. Le monde est devenu le terrain de jeu, ou plutôt le bureau de la civilisation occidentale. Ce que Conrad cherche pourtant dans ses portraits d'hommes ultimes ou en situations ultimes, c'est à réintégrer le merveilleux, mais dans l'homme. Une sorte d'humanisme surnaturel, peuplé de fantômes et de revenants errants, qui ont pignon sur rue. Qui existent. Souvenirs, impalpables sensations. Tout est au bord de venir d'une autre dimension, mais tout est "vrai". Conrad est une sorte d'anti Oscar Wilde. Il ne croit pas aux fées. Mais il voit les fantômes qui nous terrorisent. Nos mauvais souvenirs, nos mauvais présages, nos mauvaises illusions, nos mauvaises vies. Les orages sont aussi forts, les falaises aussi hautes, les présages aussi sombres que dans Frankenstein ou Byron, mais le monde est bien plus cru. Phrases ultimes. On en sourri des fois parceque qui oserait une telle accumulation de verbe maintenant ?
"Une bouffée de vent froid (...) lui effleura le visage d'un frôlement gluant. Il aperçut les ténèbres sans fin où l'on distinguait un noir fouillis de murs entre lesquels de nombreuses rangées de réverbères s'étendaient à perte de vue, comme des perles de feu". Le romantisme est presque tout crevé. Freud pointe le bout de son nez. La réalité apparaît dans toute son impensable densité, aussi surpeuplée et aussi floue que les limbes. Et l'on sent, presque palpable, la dissolution de l'ancien monde, celui du spirituel, qui disparaît comme la course à l'échalotte coloniale le refaçonne à la truelle.